3 rites funéraires extraordinaires du continent asiatique
Si la crémation ou l'inhumation semblent être les rites funéraires les plus répandus, l'accompagnement de la mort d'un être est un acte central de chaque culture. La célébration de la mort est une forme d'action sociale dépendante des dispositions affectives d'une population ; ainsi, si le rituel funéraire semble être un acte commun à tous les hommes depuis la nuit des temps, il est aussi à propre à chaque civilisation. Dans cet article, nous vous proposons de découvrir 3 rituels pratiqués sur le continent asiatique, qui semblent si loin des tendances occidentales.
Les vautours mangeurs d'hommes du Tibet
Au Tibet sont pratiquées les « funérailles célestes » ou « sky burial », qui consistent à offrir les corps des défunts aux rapaces pour faire perdurer le cercle de la vie, et pour emmener l'âme aux cieux. Ne sont pas concernés dans la tradition les enfants, les femmes enceintes, les morts de maladie ou d'accident. La population tibétaine est encouragée à assister au rite pour affronter la mort et ressentir l’impermanence de la vie.
Car ce rituel funéraire a une profonde signification religieuse ; trouvant son origine dans des temps bien anciens, certains disent qu'il vient de la lignée Drigung Kagyu du bouddhisme tibétain. Dans les croyances bouddhistes, le corps n'est qu'un véhicule ; les esprits des défunts se réincarnent en de nouvelles existences. Mais pour permettre cette réincarnation, le corps doit être porté aux cieux, dans un espace où les âmes, flottantes au gré des vents, attendent jusqu'à aller vivre dans un nouveau corps.
Et pour les Tibétains, les vautours sont des Dakinis, littéralement « danseurs du ciel », des sortes d'anges ; quand un défunt leur est offert, ils le transportent dans ce lieu du ciel, en s'envolant après l'avoir avalé. Cette offrande est également considérée comme vertueuse, car elle permettrait d’épargner la vie de petits animaux que les vautours mangeraient faute de charognes.
Traditionnellement, le mort est laissé intact pendant 3 jours, durant lesquels les moines vont chanter des prières autour de lui, jusqu'à la veille du rituel ; il est alors lavé et vêtu d'un linge blanc, puis placé en position fœtale, et amené par une procession jusqu'au charnier, le tout accompagné de chants religieux, à proximité des monastères. Le découpage du corps sera effectué selon un rituel très précis, tandis que l'on fait brûler de l'encens de genévrier pour attirer les vautours.
Au cours de ce rituel, également pratiqué au Bhoutan, en Chine, en Mongolie, au Népal et en Inde, les Tibétains s'opposent à la venue des curieux; seuls le cortège funèbre, les proches, ou les membres du village sont admis, et les photos sont interdites, car cela pourrait altérer la montée aux cieux de l'esprit du défunt.
Les morts-vivants d'Indonésie
Sur l'île de Sulawesi vivent les Torajas, une ethnie comptant environ un demi-million de personnes. Une fois par an, en août, ou plus épisodiquement maintenant, est organisé le rituel Ma'nene. Bien que la grande majorité des Torajas soit chrétienne à présent, l'Aluk To Dolo, la « voie des ancêtres » est une valeur traditionnelle toujours respectée ; la vie religieuse est en grande partie tournée vers le respect porté aux ancêtres. C'est ce que le rituel Ma'nene célèbre ; l'idée est de faire quelque chose pour ses grands-parents. De montrer à ses défunts qu'on les aime toujours, et que l'on prend soin d'eux.
Ainsi, une fois par an, les cercueils sont récupérés des tombes familiales, les corps retirés, nettoyés, lavés, voire recoiffés. Certains offrent même une cigarette à leurs défunts, qui sont considérés comme s'ils étaient de nouveau en vie, pour une journée ; ils sont exposés dans le village, debouts, et promenés: c'est un moment de joie, de retrouvailles. Avant de les replacer dans leur tombeau, les Torajas vont également les habiller avec de nouveaux vêtements.
Les Torajas conservent très bien les corps, qu'ils pratiquent le rituel ou pas, car parfois les défunts sont mis en cercueils plusieurs années après leur mort, le temps d'organiser de belles funérailles, et d'accumuler suffisamment d'argent pour que la cérémonie soit à la hauteur. Ainsi, ils ont développé des techniques de conservation permettant de garder les corps à la maison pendant tout ce temps, avec des herbes traditionnelles ou des injections de formol.
Si ce rituel est pratiqué pour montrer aux défunts l'amour que l'on a encore pour eux, il serait aussi un gage de bonne récole de riz pour l'année suivante ; c'est pourquoi il est pratiqué à la fin de l'été.
Beaucoup de touristes viennent assister à ces célébrations, mais les familles attendent juste qu'ils ne soient plus là pour changer les vêtements de leurs défunts, et ainsi préserver leur intimité et leur pudeur. Ensuite, les cercueils sont placés dans des cavernes creusées dans le calcaire, gardées par des statues de bois, appelées tau-tau, qui représentent les défunts, et qui siègent jusqu'à la prochaine cérémonie.
Les cercueils suspendus des Philippines
Sagada, au nord de l'archipel philippin, est un village montagneux très isolé, comptant environ 11200 habitants, de la région de la cordillère, un paysage de falaises et de corniches. Et, sur ces parois de pierre, il est possible d'apercevoir des cercueils suspendus. Il s'agit d'un rite animiste, tendant à disparaître ; on considère que la dernière fois qu'il a été pratiqué, c'était en 2010.
Si l'on n’a pas réellement d'explication quant à pourquoi ces cercueils sont suspendus au vent ainsi, trois théories sont relatées ; cela pourrait être pour que l'âme atteigne plus rapidement le ciel que si elle devait sortir de sous la terre, ou encore par crainte que les corps ne soient déterrés par des animaux sauvages, ou encore pour que les morts puissent continuer à sentir le soleil, le vent, et à voir la lumière.
Quoiqu'il en soit, le rituel demande une logistique exigeante ; par un système de cordes et de poulies, les cercueils sont hissés à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, suspendus dans le vide au-dessus des vallées, et déposés sur des pieux enfoncés dans la roche calcaire au préalable.
Après le décès, le corps est enveloppé dans un tissu et attaché en position assise sur une chaise en bois ( on peut d'ailleurs en voir certaines accrochées également aux falaises avec les cercueils). Enfumé avec un mélange d'herbe et de plantes pour que le corps n'ait plus d'odeur, on va ensuite exposer le défunt à l'entrée de la maison familiale pendant quelques jours pour que tous les membres de la communauté qui le souhaitent puissent venir lui rendre hommage, suite à quoi le corps sera déposé en position fœtale dans un cercueil qu'il a normalement lui-même construit avant sa mort (faute de quoi un proche le construira), puis amené à la falaise.
Ce n'est cependant pas un rituel accessible à tous ; il implique de coûteux sacrifices, à savoir plusieurs cochons et plusieurs poules, ce que toute la communauté ne peut pas s'offrir.
Certains cercueils tombent avec les intempéries, mais il est d'usage de ne pas lancer d'expédition pour aller les récupérer et les remettre en place. Dans l'Echo Valley, on trouve des tas de cercueils entassés.
Même si la tradition tend à disparaître, les habitants du village vouent un profond respect à cet héritage. Certains sites sacrés sont accessibles au tourisme, d'autres non, ou d'autres encore sont visibles seulement de loin, mais un guide peut être impératif, notamment pour se rendre dans l'Echo Valley.
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